Coup de crypto-tonnerre dans le monde (financier) de l'art
Everyday: the first 5000 days, une œuvre de Michael Winkelmann, alias Beeple, s’est vendue 69,3 millions de dollars. Cette vente révolutionne le marché de l’art…mais pas forcément l’art.
Explications.
Il s’agit du premier crypto-art jamais vendu par une grande maison d’enchères.
Ce collage numérique de 5000 images, dessins et animations, soit une image par jour réalisée sur une période de 13 ans, n’a pas été acheté en dollars mais en crypto monnaie, suite à une vente aux enchères en ligne de Christie’s, suivie par 22 millions d’internautes, plaçant l’artiste jusqu’alors inconnu malgré ses 1,9 million d’abonnés Instagram au troisième rang des artistes vivants les plus chers après Koons et Hockney.
Comment ça marche ?
Techniquement, Everyday: the first 5000 days est une ligne de code renvoyant à une œuvre virtuelle enregistrée dans la blockchain. C’est donc un objet virtuel, dont l’authenticité et la traçabilité sont théoriquement inviolables grâce à la technologie «blockchain».
La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, car elle fonctionne sans organe central de contrôle. C’est l’outil par excellence de la finance décentralisée : ses utilisateurs - connectés en réseau - se partagent des données sans intermédiaire.
Elle permet de commercialiser des oeuvres - et à peu près tout sur Internet, sons, images, et même tweets de personnalités - sous la forme de NFT (pour «non-fungible token»), ou jetons non fongibles, qui sont des titres de propriété uniques, fondés sur la même technique de certification que les cryptomonnaies.
Les premiers NFTs ont flambé dans l’univers des mondes virtuels et des jeux avant de s’étendre à toutes les collections possibles.
Pour faire simple, la source est cryptée par plusieurs serveurs, c’est la Blockchain. Le token, c’est un jeton d’entrée dans la blockchains pour accéder à la source privée.
Comment ça court-circuite les acteurs traditionnels du marché de l’art ?
L'idée des plateformes de ventes de NFT est d'organiser un marché de l’authenticité supérieur au marché de l’art physique, et un marché numérique plus rentable que les cryptomonnaies et bitcoins.
Lorsqu’un acheteur se porte acquéreur d’un NFT, il n’achète pas l’œuvre. Il se porte acquéreur du NFT, c’est-à-dire d’une reproduction de l’œuvre située au sein de la blockchain.
Contrairement au bitcoin, chaque jeton est unique, un remède miracle aux copies, un des freins au développement de l'art numérique, ce qui en révolutionne le marché : ces objets immatériels sont incontestablement authentiques, inviolables, traçables et uniques. On retrouve là des valeurs d’unicité et de sécurisation «classiques», à la mode numérique.
Pour le cryptoacheteur de NFT payées en monnaie numériques, c’est un «investissement sur l’investissement» : spéculer à la fois sur la cote de l’artiste du moment, et sur la hausse de la cryptomonnaie dans laquelle elle a été échangée. Ça, c’est la «crypteuphorie».
Et sa valeur artistique ?
Honnêtement, tout le monde s’en fiche. Beeple lui-même voit les acheteurs «plus comme des investisseurs que des collectionneurs».
Ses images journalières, faites comme autant de « gammes « pour améliorer sa technique, véhiculent sous des formes figuratives variées, de l’illustration 2D en passant par des animations et images de synthèse, un contenu souvent kitsch, parfois raciste, sexiste, homophobe…bref, un univers plutôt potache, à l’iconicité cependant révélatrice d’une partie de la société américaine, sans autre démarche artistique que celle de l’homogénéisation par l’accumulation.
Ce grand coup médiatique et financier, s’il affole le marché de l’art et ouvre la réflexion sur l’avenir, l’achat et la conservation des oeuvres numériques, reste une niche spéculative.
Suivant l’utopie de sa création, et son investissement par les premiers net’artistes, c’est exactement tout ce que l’on aurait souhaité que cette « révolution numérique » évite… Espérons que de nouvelles générations d’artistes sauront débusquer le «coefficient d’art» de tout ce formidable potentiel.
À lire : un article critique très intéressant de Nathalie Dietschy, professeure assistante à la Section d’histoire de l’art de l'Université de Lausanne: https://blogs.letemps.ch/nathalie-dietschy/2021/04/01/art-numerique-beeple-et-le-marche-du-nft/
Répondre à cet article
Suivre les commentaires :
|
